Alors que les derniers rayons du soleil couchant réchauffent la pièce, l’homme expire nonchalamment la fumée de sa cigarette. Le dîner terminé, ses enfants et son épouse sont partis vaquer à leurs occupations. Face à lui, le disciple perçoit son sourire détendu, et saisit l’occasion pour poser une question qui lui brûle les lèvres.
« Senseï, en combat, l’Aïkido ça peut marcher ? »
Le maître marque un temps, l’observe et répond…
« L’Aïkido, gagne toujours. »
« Oui je sais, en théorie c’est parfait, mais dans un combat il y a un moment où on prend un coup, où tout devient confus. Est-ce qu’on peut vraiment s’en sortir avec l’Aïkido ? »
« L’Aïkido, c’est toujours la victoire. »
« Mais senseï, on peut prendre un coup. Tout peut arriver. »
« Si vous perdez, vous n’avez pas fait de l’Aïkido. » répond Nobuyoshi Tamura.
Au début je me suis dit qu’il se moquait de moi. Mais à la réflexion, après des années, je crois avoir compris ce qu’il voulait dire. Oui il y a les aléas du combat. Et oui il est possible que tout ne se passe pas de façon idéale. Mais c’est notre faute, pas celle de l’Aïkido ! (Rires)
L’Aïkido n’est pas en question, le système est parfait. C’est notre application qui peut présenter des failles. »
Tiki Shewan
Cette discussion entre lui et Tamura senseï est rapportée par Tiki Shewan dans l’interview qu’il m’a accordée pour Yashima. Un entretien lors rs duquel il a abordé des sujets aussi divers que son apprentissage de la forge au Japon, la succession de l’Aïkido, l’enseignement de Gurdjieff, sa rencontre avec un mystérieux maître ninja, son amitié avec Donn Draeger, etc. Il conclut cet entretien en me disant :
« Vous savez en 2019, cela a fait 50 ans que j’ai débuté l’Aïkido. Cela m’a laissé le temps de faire beaucoup d’erreurs. Mais j’ai eu la chance de vivre une période intéressante du développement de la discipline, et de rencontrer beaucoup de gens unique. Des disciples d’avant-guerre, d’après-guerre, des maîtres de nombreuses disciplines. Si j’ai volontiers partagé quelques moments de ce parcours, ce n’est pas pour parler de moi. C’est parce que je crois profondément que ces anecdotes ont un sens. Qu’au-delà de leur aspect parfois humoristique, elles peuvent nous amener à faire un pas de plus. C’est tout ce que je souhaite à ceux qui les auront lues. »
Les maîtres qui ont accepté de partager leur vécu dans Yashima sont des adeptes de premier plan. Aussi distrayant que soit le récit de leur existence aventureuse, il y a surtout de riches enseignements à en tirer. Je remercie chacun d’entre eux pour ces précieuses leçons, et espère qu’elles vous apporteront autant qu’à moi-même.
La question du jeune Tiki peut sembler naïve à un pratiquant de longue date. Mais elle est celle des néophytes et des nouveaux pratiquants. Une faille dans l’enseignement de leur professeur, ou même leur propre application de l’Aïkido, et c’est l’image de la discipline toute entière qui est touchée. Car nous généralisons. À partir d’une expérience nous forgeons notre opinion sur un auteur, un genre de musique ou un art martial. Qu’importe que ce qui fut à cet instant soit une exception, que cela ne traduise en rien la véritable nature de ce que nous jugeons. Malgré ses lacunes, ce système est efficace car économe. Mais il est cruel. Que nous voyions du mauvais Aïkido, croisions un mauvais pratiquant, et l’image que nous en avons risque ainsi d’en être dégradée pour longtemps, parfois à jamais… Chaque pratiquant d’Aïkido a ainsi la responsabilité de la totalité de la discipline, car elle sera souvent jugée à travers lui. Nous nous devons ainsi, par respect pour ceux qui nous ont précédés et pour le bien de la discipline, d’être prudents et exemplaires.
6 Octobre 2020 , Rédigé par Léo Tamaki Publié dans #Budo – Bujutsu, #STAGES